Débat Lecture du 11 mai 2OO6 suite 2

Publié le par Véronique

4.      Pourquoi l’enfant doit-il renoncer à la prévalence de l’imaginaire pour apprendre à lire ?  

 

 

 

 

Si l'enfant se maintient essentiellement dans l'imaginaire, s’il continue à s’imaginer tout puissant, il ne peut accéder à la lecture qui est définie par des règles, par un code, que l'on ne peut ni acquérir ni modifier d'un coup de baguette magique... 

C’est ainsi que nous rencontrons des apprenti-lecteurs qui,  évitant de  déchiffrer, inventent un texte sans rapport avec ce qui est écrit ; ils « construisent » leur propre « histoire », à partir d’éventuelles illustrations présentes dans le livre. Ils ont recours à leur propre imaginaire qui reste maître de la situation. Ils préfèrent les images (registre imaginaire) aux « signes » linguistiques (registre symbolique).

 

On dit parfois des enfants qui ne s’intéressent pas aux apprentissages qu’ils sont « dans la lune ». Cette expression indique bien qu’ils fuient la réalité en se réfugiant dans un monde qui n’existe pas, ils restent dans l’imaginaire. 

 

Certains enfants qui ne s’engagent pas dans l’apprentissage de la lecture disent pourtant « avoir envie d’apprendre à lire ». Cette « envie » peut n’être que l’expression d’une pensée magique : je voudrais bien lire comme les adultes, mais sans passer par l’apprentissage du code et de la combinatoire. Le désir de lire suppose au contraire que l’enfant reconnaisse et accepte que l’acquisition de la lecture nécessite  le détour par l'apprentissage des graphies, du déchiffrage.  

 

Par ailleurs, maîtriser ces nouvelles  connaissances pour accéder au plaisir de lire en autonomie représente un effort. Voilà qui est difficilement compatible avec la recherche du plaisir immédiat… 

 

Le passage de la maternelle au C.P. correspond à une étape décisive dans la structuration de l'enfant.  L'enfant a besoin d'être accompagné pour franchir cette étape qui va lui permettre, entre autres, d’apprendre à lire.

Ce sont essentiellement les parents qui vont effectuer cet accompagnement ; mais une méthode de lecture structurante peut participer efficacement à cette maturation.

 

A l’inverse, il nous semble précisément que les méthodes les plus utilisées, les méthodes « mixtes », à départ global, n’aident pas les enfants un peu immatures à s’engager dans l’apprentissage de la lecture.  

 

Dans les méthodes mixtes, on encourage d'abord l'enfant à appréhender le mot écrit dans sa globalité et à mémoriser sa correspondance orale. Ce faisant, on conforte une éventuelle immaturité : les mots sont ramenés au statut d’image (« photographier ») alors qu'on devrait au contraire aider clairement l’enfant à quitter le registre imaginaire pour accepter les symboles ; en outre, on le prive d’autonomie  puisqu'on ne lui fournit pas d'abord la maîtrise du mécanisme qui permet l'accès au sens. 

 Paradoxalement, alors qu’il s’agit pour l’enfant qui grandit de repérer et d’accepter la différence, on lui demande de rechercher du pareil, du semblable (retrouver le même mot). On le leurre en lui faisant croire qu’il peut lire ainsi, alors qu’il n’en a pas les moyens (l'imaginaire à nouveau). Cette démarche est démagogique (on fait plaisir à l'enfant) mais pas structurante (elle contribue à maintenir l’enfant dans sa position d’ «adulte avant la lettre»). 

 

Or les enfants un peu immatures se satisfont pleinement de cette situation, glissant rapidement de « photographier » à  « deviner». Deviner c'est du côté de l'imaginaire, du tout est possible; l'enfant s'imagine que c'est lui qui peut décider du sens du mot. Il évite ainsi de se confronter à ce qu'un autre a écrit, de se confronter au code.  

 

Si les enfants confondent « deviner » et « lire », c’est aussi parce que les partisans du départ global, trop préoccupés par la question du sens, ont confondu l’enfant et l’adulte : constatant que le lecteur averti anticipe, ils ont demandé à l’apprenti lecteur d’anticiper, avant même de l’avoir aidé à s’approprier le code. Si on plonge sans savoir nager, on risque fort de se noyer ;  les exercices techniques sont un préalable nécessaire pour être en mesure de jouer la plus facile des oeuvres de Mozart.…  

 

Si le repérage des correspondances sons/graphies n’intervient que dans un 2nd temps, les enfants doivent opérer un virage à 180°. Déstabilisés par les 2 consignes contradictoires (« photographier », puis « déchiffrer ») beaucoup s’accrochent alors au comportement antérieur ( que l’adulte lui même a d’abord valorisé), essayant toujours de deviner plutôt que de faire l’effort de lire, c’est-à-dire de décoder (« dé-chiffrer ») la phrase orale signifiante à partir de la phrase écrite.  

 

Quelques exemples pour montrer à quel point le départ global perturbe l’activité mentale des élèves et rend la lecture cahotante, inopérante :  

 

Un enfant doit lire « chandail » ; il rapproche ce mot de celui qui lui vient d’abord à l’esprit : « chantier » ; puis le « t » de chantier reste présent mentalement et il remplace le « d » par le « t » tout en étant incapable alors de lire le mot. On aura tendance à dire que cet enfant confond le « d » et le « t », ce qui est faux.

  • Un enfant déjà bien avancé dans l’apprentissage, à qui on propose de travailler la graphie complexe « oeill » lit « cœur », puis quelques lignes plus loin devant le mot œillet ne peut s’empêcher d’introduire un « c » supplémentaire (reste de cœur) et lira à plusieurs reprises « cueille ».  
  •  « jamais » est lu « j’aime »
  • « quand » est lu « quoi » 
  • « il entretient le jardin » devient « il entre dans le jardin » 
  • « il passe » est lu « il pense »
  • « papa m’amène » devient « papa maman » 

    La vérité, dit-on, sort de la bouche des enfants : Laurent, 8 ans a été maintenu au C.P.. Au cours d’une séance de rééducation, il se disait incapable de lire un mot simple (dont il connaissait toutes les graphies) et  s’obstinait à deviner au lieu de déchiffrer. Comme je l’encourageais à faire cet effort, voici ce qu’il m’a répondu : « A l’école, il faut juste trouver les mots, c’est plus facile que la lecture ».  

 

 

 

 

L’ approximation persiste, on le constate, très tard dans le cursus scolaire : une élève de CM2, travaillant sur l’ordinateur,  a lu :  « 2 fois incorrect » alors que le texte était « 2 choix incorrects », puis un peu plus loin elle a lu : « nous pensions que vous viendrez », alors que le texte était « nous pensions que vous viendriez », le verbe étant au conditionnel.  

 

Un argument est très fréquemment avancé pour continuer à justifier l’utilisation des méthodes « mixtes » : elles  seraient seules à même de favoriser l’accès au sens et le développement du langage. En fait, elles aboutissent au résultat inverse !  

 

q     La confrontation à des graphies complexes dès le départ et la mémorisation approximative de ces graphies conduisent à l’installation de confusions et d’inversions qui perturbent durablement la lecture et l’accès au sens. (Un enfant doit lire : « Léo, en riant, dit… ». Il lit : « Léo, en rien, dit ». Il a compris : « Léo dit qu’il n’y a rien ») 

 

q     Les enfants au vocabulaire pauvre sont confrontés à une tâche impossible : comment faire des hypothèses et reconnaître globalement un mot, s’ils n’ont jamais eu la chance de rencontrer ce mot au préalable ?  

 

q     Quand l’enfant « devine » au lieu de lire il « invente » avec brio mais il ne comprend plus ce qu’il lit. (Quand « réussite » devient « résultat »..).  

 

q       Les articles sont très souvent remplacés les uns par les autres, les verbes ne sont pas lus jusqu’à la fin alors que les terminaisons précisent pourtant le sens. La prise en compte rigoureuse de tous les éléments morpho-syntaxiques est pourtant indispensable à la compréhension du texte.  

 

q     En proposant des textes complexes dès le départ on décourage les enfants dont le langage est pauvre : ils ne s’approprient ni le langage, ni la lecture, car ils doivent faire face à plusieurs difficultés à la fois. 

 

A notre sens le travail sur le langage est essentiel ; il doit être privilégié en maternelle et au C.P. , mais avec des outils pédagogiques spécifiques. Travailler dans le même temps le langage et la lecture est un leurre. 

Loin de favoriser le développement du langage et l’accès au sens, le départ global est souvent source d’obstacle à  l’accès au sens sans faciliter pour autant l’enrichissement du langage.  

 

Du point de vue psychologique, les méthodes mixtes ne nous semblent pas adaptées aux enfants de 6 ans. Le point de vue médical rejoint le nôtre sur ce sujet.

 Je vais vous parler des compétences cérébrales et de la lecture :  

 

 

 

 

Le professeur Lucien Israël n’hésite pas à écrire que l’approche globale est un contre-sens absolu.

« Il est parfaitement démontré et admis que chez tous les droitiers et une partie des gauchers le centre du langage est situé dans l’hémisphère cérébral gauche. C’est celui de l’analyse, de la dissection des données, tandis que l’hémisphère droit est celui de la saisie globale, de l’intuition, de la connotation et de la métaphore.  

 

 

 

 

Les idéogrammes chinois sont interprétés, appris et retenus par le cerveau droit.  

 

L’analyse des signes et des syllabes, puis du sens produit sont un travail de l’hémisphère gauche.

On ne peut, en apprenant à lire par le cerveau droit à un droitier que déboucher sur une lecture approximative et un sens approximatif. Il en est de même ensuite de l’analyse grammaticale. » 

 

 

 

Le Dr Wettstein Badour (neurologue) écrit également : « les choix pédagogiques conditionnent l’anatomie et la structuration du cerveau ». Elle indique que l’approche globale ou à départ global, développe prioritairement la zone des images (la silhouette du mot, c’est une image), au détriment de l’hémisphère gauche qu’il faudrait développer au contraire.  

 

Enfin, Elise Temple a fait passer une IRM à 20 enfants ne présentant pas de troubles de type « dyslexiques » ; puis elle a fait passer une IRM à 20 enfants « dyslexiques », avant et après un programme de remédiation centré sur la discrimination auditive et un travail de type syllabique. Après la remédiation, les images du cerveau des enfants dyslexiques sont devenues proches de celles du cerveau des enfants ne présentant pas de troubles. On peut vraisemblablement en conclure là aussi que le type d’apprentissage proposé à un jeune enfant a des conséquences majeures sur le développement de son cerveau.  

 

Le point de vue des neurologues vient donc confirmer notre hypothèse : un apprentissage de la lecture mal conduit contribue à installer un fonctionnement cérébral de type « dyslexique ». Ce sont les « fausses dyslexies » très bien décrites par Colette Ouzilou.  

 

Si nous pensons qu’il est important d’enseigner le code et la combinatoire dès le départ, c’est aussi et surtout parce que l’enfant a besoin d’outils pour construire son savoir.       

 

Il nous semble qu’un glissement est intervenu progressivement dans les pédagogies mises en œuvre ces dernières années : voulant à tout prix « mettre l’enfant en position active » (excellente démarche ! ), on en est arrivé à  «mettre l’enfant en position de construire lui même son savoir» (démarche erronée : c’est mettre la charrue avant les bœufs ! ). Si l’on fournit d’abord à l’enfant les outils, ensuite on peut le mettre en position de construire, d’aller plus loin dans la connaissance.  

 

Le Dr Michèle Mazeau (neuropsychologue) décrit deux mécanismes distincts pour se développer et apprendre : 

 

* ceux qui résultent d’acquisitions spontanées, reposant sur des systèmes innés. 

 

* et ceux qui nécessitent des techniques d’enseignement spécifiques. C’est le cas de nombreuses activités qui n’ont pas été sélectionnées par l’Evolution : conduire une voiture,  et bien sûr, lire et écrire.  

 

N’y a-t-il pas matière à interroger les pédagogues qui prétendent qu’on apprend à lire grâce à un « bain » de lecture ? Ce n’est pas pour avoir « baigné » de nombreuses années dans les hiéroglyphes que Champollion a été en mesure de les déchiffrer. S’il en a découvert le code c’est bien la stèle de Rosette qui lui en a donné la clé.  

 

Du point de vue des compétences cérébrales, on n’apprend pas à lire comme on apprend à parler. Le langage écrit ne peut être appréhendé qu’à travers le principe alphabétique qui, par convention, relie arbitrairement chaque graphie à un phonème. Il est donc nécessaire de donner cette clé à l’enfant, le plus tôt possible, dès le début de l’apprentissage. 

 

Un grand nombre de spécialistes s’accordent maintenant à reconnaître que « le lecteur ne s’appuie pas sur la silhouette du mot pour l’identifier, mais sur la perception très rapide des lettres qui le composent.» (extrait des Programmes de l’école primaire, février 2002). Si on propose à l’enfant d’identifier les mots avant d’avoir maîtrisé le code, il ne peut que les identifier sans prendre des repères : les confusions et la lecture approximative sont inévitables ! 

Si le lecteur averti anticipe, s’il lit très vite (en particulier quand il rencontre des mots connus) il ne reconnaît jamais le mot « globalement », comme une image,  il le reconnaît grâce à une prise de repères, un « balayage »  extrêmement rapide.  

 

Ce n’est pas parce que le lecteur expert n’a plus conscience des processus mentaux qui lui permettent de lire que ces processus n’existent pas !   

 

La lecture fiable ne peut en aucun cas résulter d’une devinette. 

 

Personne n’a recours à deux processus différents bien identifiés pour lire (qui seraient le décodage, ou une identification directe du mot reconnu globalement).  

 

(voie directe ou indirecte, voie d’adressage ou d’assemblage) 

 

Qu’il s’agisse de la lecture du débutant ou de celle du lecteur confirmé, il s’agit d’un seul et même processus qui se perfectionne, qui devient inconscient : c’est à la fois le décodage et le lien avec le bagage lexical et morpho-syntaxique du lecteur qui sont opérants. Quand le lecteur a reconstitué l’image  acoustique  du mot il rapproche cette image acoustique de celles dont il dispose dans son propre lexique mental. Ce mécanisme va bien entendu devenir de plus en plus opérant, permettant une lecture fluide très rapide.  

 

Une recherche comparative a été récemment pratiquée en Belgique, sur les résultats obtenus en lecture, en classes de CE1, chez des enfants ayant appris soit par une méthode à départ global,  soit par une méthode synthétique phonémique. Quel que soit le paramètre envisagé, les résultats sont significativement meilleurs dans ce deuxième cas. 

 

C’est aussi ce qu’a constaté Emilie Bernard, orthophoniste, qui a choisi comme sujet de mémoire la comparaison de deux classes de CP, utilisant respectivement Lire avec Léo et Léa et une méthode mixte (Abracadalire).  

 

Au delà des compétences cérébrales, ce sont aussi les principes de fonctionnement de notre langage écrit qui devraient conditionner l’approche pédagogique.  

 

On enseignera différemment l’écriture et la lecture du chinois basées sur des pictogrammes et des idéogrammes, et la lecture et l ‘écriture du français, basées sur le principe alphabétique

 

L'évolution de l'écriture peut se résumer en quatre stades principaux au cours desquels les représentations graphiques se sont progressivement éloignées de l'objet ou de la notion à représenter pour se rapprocher de la forme sonore du message. Le symbole graphique représentait d’abord un objet ou un concept, puis l'écriture a évoluée vers un découpage où chaque signe évoque un mot. Viennent ensuite les écritures syllabiques où le code écrit reproduit les différentes syllabes de la langue orale. Enfin, l'écriture alphabétique permet d'associer à chaque symbole graphique un son de la chaîne parlée.

Lorsque l'on parle d'écriture alphabétique, c'est que le système de représentation choisi n'a pas de contenu notionnel en lui-même. Il tente plutôt de reproduire la chaîne sonore du langage et non les concepts que la langue véhicule. 

 

Le principe fondamental d'une écriture alphabétique est la correspondance entre les réalisations orale et écrite : à tout graphème correspond un seul phonème et réciproquement.

Pour apprendre à lire, à écrire, il faut donc comprendre le principe alphabétique : les unités graphiques sont reliées aux unités phoniques.  Les lettres codent du son et non du sens. Ce caractère abstrait représente une difficulté pour l’enfant. 

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